Insoutenable & injuste : la façon dont nous gérons nos déchets est le miroir de nos choix de société.
Pourquoi je rejoins Zero Waste France ⤵️
Les déchets ça pollue, et ce sont les moins responsables qui le subissent le plus.
J’ai travaillé pendant près de quinze ans avec des ONG de solidarité internationale, à tenter de faire changer les orientations des gouvernements, des institutions financières internationales, des Nations unies, etc. Au cours de ce parcours j’ai appris que c’est surtout ici, chacun·e dans son pays, que nous pouvons avoir un impact, parce que ce que nous faisons en France et dans les pays du Nord a des conséquences là-bas, dans les pays du Sud. C’est vrai en matière de politique économique, c’est vrai s’agissant du changement climatique. Et c’est vrai aussi en matière de déchets : la façon dont nous produisons, consommons et traitons nos déchets est entachée d’injustices. Que dire des réflexes coloniaux censés appartenir au passé, quand nous décidons d’exporter nos déchets dans des pays d’Asie où ils polluent la santé humaine et les sols au sein de décharges illégales ? C’est l’une des nombreuses injustices liées aux déchets décrites par ma collègue Alice Elfassi et ma prédécesseuse Moïra Tourneur dans Déchets partout, justice nulle part (2022, ed. Rue de l’échiquier).
On surconsomme ici en se frottant les mains, pendant que d’autres assument les couts économiques, écologiques et sanitaires là-bas : ça vous rappelle quelque chose ? Oui, c’est l’ensemble du système nous menant à la crise climatique qui fonctionne ainsi, mettant à mal l’expression selon laquelle nous serions toutes et tous dans le même bateau.
Les injustices liées aux déchets, c’est aussi en France
On connaît l’injustice environnementale provoquée par les usines d’incinération, qui polluent les alentours où habitent en général les populations les plus précaires et racisées (Razmig Keucheyan en faisait l’un des exemples de racisme environnemental). La façon dont on trie nos déchets peut elle aussi être injuste. Un exemple récent : la Dordogne est en pleine guerre des déchets, si l’on peut appeler ainsi la fronde née de la mise en place de la tarification incitative. Ce mécanisme a pour but d’inciter les populations à trier leurs déchets en augmentant le coût de l’enlèvement des poubelles non recyclables. La Dordogne a choisi de l’appliquer en limitant le volume d’ordures ménagères par foyer, tout en arrêtant le ramassage des déchets au domicile au profit de points de collecte. Ce choix a suscité incompréhension et colère. Dans la presse régionale on a pu lire que des assistantes maternelles se retrouvent contraintes de rendre les couches usagées des bébés à leurs parents en raison du coût trop élevé de la poubelle non recyclable. A la télévision on a pu voir que des personnes âgées se retrouvent à stocker leurs poubelles pendant parfois plusieurs semaines parce que le camion poubelle ne passe plus. Bref, la mise en place a été ponctuée de difficultés, c’est le moins qu’on puisse dire. Pourtant, l’on sait à quel point il est crucial de changer notre façon de trier nos déchets. Zero Waste France recommande de rendre la tarification incitative juste socialement, et de l’intégrer à une stratégie globale de réduction des déchets. Les collectivités ont un rôle crucial à jouer, la loi leur impose d’ailleurs de mettre en place d’ici le 31 décembre des solutions pour le tri à la source des biodéchets. Mais elles doivent être aidées par l’État pour cela, et les véritables pollueurs doivent financer la gestion des déchets.
Un enjeu de justice tout court
Les véritables pollueurs, mais qui sont-ils ? Parle-t-on des parents contraints de voir déborder leurs poubelles de couches, dès lors qu’aucune autre solution n’est vraiment en place ? (au passage, j’ai beaucoup d’espoir dans la filière de couches compostables qui pourrait se développer grâce au travail déterminé de Mundao et les Alchimistes)
Parle-t-on des familles obligées de jeter des kilos d’emballages parce que les fabricants ont eu la main lourde à la conception de leurs produits (Franchement, ces emballages individuels de gâteaux, est-ce vraiment indispensable ?), parce que le vrac n’est pas disponible ou parce que tout simplement aucune alternative n’est accessible financièrement ? Parle-t-on de celles et ceux qui achètent du lait en bouteille, et qui voudraient bien que celles-ci soient en verre mais pas de chance, on n’en trouve pas et de toute façon aucun magasin ou supermarché ne pratique la consigne ? Non ce ne sont pas elles et eux les véritables pollueurs.
Les véritables pollueurs sont ceux qui fabriquent et distribuent les produits, lorsqu’ils et elles décident de les enrober de multitudes d’emballages non recyclables, ou de programmer leur obsolescence. A elles et eux de faire évoluer le marché. La demande est là, il ne reste qu’à adapter l’offre. Et pour cela, il faut des politiques publiques qui incitent, qui interdisent et qui contraignent. Oui, tout cela à la fois. Car c’est le seul moyen de rendre le tri des déchets juste socialement. En attendant, nous voilà culpabilisé·e·s individuellement, sommé·e·s de mieux trier, incité·e·s à trouver soi-même des solutions alternatives. Or, tant que nous vivons (aussi) dans une société d’inégalité femmes-hommes, ce sont majoritairement les femmes qui supportent cette charge mentale environnementale. Oui, les déchets sont un enjeu ecoféministe ! J’en parlais dans mon livre Le Féminisme pour sauver la planète (2021, éd. Les Petits matins).
Plutôt que de culpabiliser, il faut changer le système
C’est pour tout cela que je rejoins l’association Zéro Waste France, qui milite depuis 1997 pour la réduction des déchets et du gaspillage, ce qui impose d’en finir avec la perfusion de nos sociétés au plastique et au tout-jetable. Et donc de changer nos modes de production et de consommation.
