« J’ai acheté une pilule du lendemain. Le pharmacien ne m’a rien demandé, j’ai payé, il me l’a donnée. Mais plus tard ce jour-là, ma mère est passée dans la même pharmacie. Le pharmacien lui a dit, vous savez votre fille, voilà ce qu’elle a acheté tout à l’heure »
Cette histoire-là n’en est qu’une parmi mille autres entendues au centre des jeunes de Bhaktapur, au Népal. Réuni.e.s aujourd’hui pour parler des prochains objectifs onusiens de développement, une dizaine d’adolescentes et adolescents font leur liste : éducation, égalité de genre, sécurité face aux violences, droit « réel » à l’avortement, etc. La liste de leurs priorités est longue, et toutes et tous sont bien conscients que celle-ci coïncide rarement avec les priorités agréées par la communauté internationale, mais aussi, et c’est sans doute le plus inquiétant, par leurs ainé.e.s qui représentent le Népal lors des consultations internationales.
Avortement légal oui, mais sûr ?
En 2002, le Népal avait l’un des taux de morbidité et de mortalité maternelle parmi les plus élevés d’Asie du Sud avec 830 décès maternels pour 100 000 naissances vivantes. Les complications liées à l’avortement représentaient environ 54% des hospitalisations en gynécologie et obstétrique en 1998 et 20% des décès maternels dans les établissements de santé en 2000.
En 2002, le Népal légalisait l’avortement pour toutes les femmes jusqu’à 12 semaines de grossesse ; jusqu’à 18 semaines si la grossesse est le résultat d’un viol ou d’inceste ; ou à tout moment au cours de la grossesse si la vie de la santé, physique ou mentale de la femme est en danger ou si le fœtus est déformé.
Les progrès ont été rapides et la mortalité liée à l’avortement clandestin baisse. Mais le chemin à parcourir est encore long.
Une étude menée en 2010 auprès de femmes hospitalisées suite à des complications consécutives à un avortement le montre bien[1]. Seules 44% des femmes interrogées savaient que l’avortement est légal au Népal. C’est pourquoi la majorité avait eu recours à un avortement médicamenteux, sur les conseils de leur pharmacien qui leur avait fourni des mauvais médicaments, sans leur expliquer comment les prendre ou encore en leur fournissant seulement une partie du mix nécessaire.
Pour les jeunes réunis à Bhaktapur, c’est le tabou lié à la sexualité qui empêche l’information de circuler largement. C’est pour éviter que cela se sache que les femmes souhaitant avorter préfèrent trouver discrètement un pharmacien en mesure de leur procurer des médicaments par-dessous le comptoir, plutôt que d’en parler autour d’elles ou d’aller dans un centre de santé. Car il est très mal vu d’avoir des relations sexuelles hors mariage, ou avant le mariage, tout autant qu’il l’est de vouloir avorter lorsqu’on est mariée.
La police nous a harcelés, mais la société encore plus
A la question « connaissez-vous une personne non mariée qui a des relations sexuelles ? », l’immense majorité des personnes interrogées en 2007 par l’association FWLD répondait oui[2]. Un des participants à l’étude raconte :
« Mon copine et moi avons été pris par la police dans une chambre d’hôtel. Ça m’a beaucoup surpris d’apprendre pourquoi j’étais arrêté. On a été emmenés en garde à vue et on n’a été libérés que lorsque nos tuteurs ont été appelés. Les policiers se sont plaints auprès d’eux du fait que nous avions eu des rapports sexuels dans la chambre d’hôtel, avec force commentaires désobligeants qui nous ont laissés morts de honte. La plupart des policiers étaient grossiers et m’ont mal traité pendant tout le temps où j’étais derrière les barreaux. La police nous a harcelés mais la société nous a encore plus harcelés après qu’on nous ait libérés »
C’est pour toutes ces raisons que le petit centre de santé sexuelle et reproductive de Bhaktapur, qui délivre des conseils, des informations, et des moyens de contraception, n’est identifiable qu’à ce petit logo discret en bas à droite de la porte : FPAN, l’association népalaise pour le planning familial.
[1] Rocca CH1, Puri M, Dulal B, Bajracharya L, Harper CC, Blum M, Henderson JT, Unsafe abortion after legalisation in Nepal: a cross-sectional study of women presenting to hospitals, 2013, http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23574112
[2]Forum for women, law and development (FWLD), Women and sexuality in Nepal, 2007, http://www.fwld.org/uploads/pdf/Sexuality%20Cover1.pdf
